Paris 8 autrement

Nouvelles  Téléchargements  Liens 
Le grand mépris

Universités : le grand mépris !



Etrange société qu’est la nôtre. Aurait-il été considéré convenable de présenter comme expert de la gestion des clubs de foot Bernard Tapie en pleine affaire valenciennoise ? Ou d’inviter en 1993 le PDG du Crédit Lyonnais pour disserter sur la bonne gouvernance des banques ? Cela semble pourtant possible pour parler des universités avec Pierre Lunel, invité ici et là sur les plateaux à l’occasion de son ouvrage, alors même que le bilan de sa gestion de l’université Paris 8 est pour le moins lamentable.

Etrange société qu’est la nôtre pour qu’une personnalité promue à de hautes responsabilités comme la « délégation interministérielle à l’orientation » puisse sans sourciller s’exprimer dans un livre, non seulement sans aucune rigueur, mais avec un mépris affiché à l’égard d’une institution dont il a eu la charge, n’hésitant pas à la qualifier « d’hôpital de jour » (p.45) - dans lequel il vient de faire recruter son fils. Ceci ne serait que sans importance s’il n’y avait pas en la matière non seulement entreprise de dénigrement de l’université elle-même, bien au delà de Paris 8, mais aussi inscription dans un discours ambiant de réforme de l’université dans laquelle l’université serait conduite à perdre son âme.

Pour ce qui est du « récit » du quotidien de Paris 8, il est fait d’un « savant » dosage de vérités, de mensonges, d’omissions, d’un égocentrisme narcissique. Rien ne porte sur l’essentiel. Le tout à l’image de la gestion qui fût la sienne. Il peut sembler surprenant, à ce titre, qu’à aucun moment l’auteur, présenté comme Président d’Université, ne songe à évoquer en quoi il a fait reculer ou non les calamités qu’il présente. Il y est pourtant resté 5 ans, et sa promotion par D. de Villepin peut laisser accroire qu’elle s’est faite sur la base d’un « bon bilan ».
Ce livre prétend parler de l’Université. En réalité, il est fabriqué comme si, pour parler de grande cuisine, on pouvait se contenter d’aller fouiller dans le compost du fond de la cour. Ces déchets, pour une part, viennent bien de la cuisine, ils existent même parfois tels que présentés – pas toujours, la décomposition ayant déjà fait son œuvre – mais ils ne peuvent évidemment suffire pour reconstituer les mets servis.

Vous ne trouverez rien sur ce que sont les deux activités essentielles de l’université : la formation et la recherche. Vous en trouverez un peu plus sur l’état des locaux – effectivement lamentables - sans qu’à aucun moment il n’explique ce qu’il a fait des crédits pour leur maintenance, comment il a établi ou non des priorités, et pourquoi il n’a jamais établi un plan de remise à niveau des locaux pourtant demandé par les personnels à de multiples reprises. Vous trouverez en revanche beaucoup de perfidie sur les personnes. Même les compliments qu’il adresse à ses amis (je les plains sincèrement !) apparaissent fielleux. Quand aux commentaires sur les étudiants étrangers, on y retrouve un mélange nauséabond de bruit et d’odeur (« une trentaine d’étudiants sans papiers (…) se sont installés comme des nomades sédentarisés avec vin et café. L’odeur n’est pas très agréable, et entre ce que dégage le bois du bureau et les émanations de ces corps en transpiration, ce n’est pas pour moi une promenade de santé » -p.32) et de paternalisme fleurant bon un subliminal colonial (les kabyles sont râleurs pendant que les africains sont rigolards p.134).

Il y aurait pourtant à dire tant il est vrai que la situation de Paris 8 n’est pas aisée. Elle a été fondée à Vincennes dans les années 70, avec pour grande utopie l’ouverture sur le monde, ce qui voulait dire au moins trois choses : ouverture au monde salarié en permettant aux salariés non bacheliers d’accéder à l’Université ; ouverture à l’international avec un accueil facilité pour les étudiants étrangers ; ouverture sur de nouveaux champs de recherche et refus de l’académisme. Trente ans plus tard, Vincennes est à Saint Denis. L’ouverture au monde, c’est d’abord accueillir les milliers de nouveaux bacheliers du 93 et du Nord de Paris, c’est s’arcbouter pour l’ouverture aux étudiants étrangers qui viennent du sud alors que les frontières se ferment, c’est préserver des champs de la recherche originaux sous la contrainte de financements presque systématiquement contractualisés. S’adapter à ces nouveaux défis n’est pas chose facile, et force est de reconnaître que nous n’y arrivons pas toujours. Nous sommes encore à la recherche d’un nouveau souffle.

Mais que propose-t-il donc pour en sortir ?

Ayant toujours refusé de s’intéresser à la question de l’échec en premier cycle, sa préoccupation première est maintenant des les vider en dissuadant de nombreux jeunes de s’inscrire à l’Université. D’une triple façon. En se servant de l’orientation non pas comme d’une aide pour le jeune, mais comme d’une entreprise de découragement. En augmentant massivement les frais d’inscription. En professionnalisant les licences afin d’encourager l’arrêt des études à l’issue.

Se faisant, d’une pierre deux coups, la baisse de la pression des effectifs, les financements supplémentaires des frais d’inscription, et les revenus de la taxe d’apprentissage seraient alors censés résoudre la crise de financement de l’Université. C’est évidemment une solution possible, qui va sans aucun doute inspirer ses propositions de grand délégué interministériel devant l’éternel. Solution que Paris 8 a décidé de récuser en renouvelant ses instances l’an passé, en se prononçant majoritairement contre le renoncement à la démocratisation de l’enseignement supérieur, pour préserver le lien enseignement recherche, la spécificité de l’université au regard des grandes écoles et autres filières sélectives. C’est parce que nous savons l’entreprise difficile, les recettes à inventer, un besoin d’imagination pédagogique impérieux, un esprit critique à s’appliquer à nous-mêmes sans concession, que nous nous engageons dans des Etats-généraux sur l’université. C’est vrai qu’il y a du pain sur la planche. Un « mélange de clubs de bûcherons de la forêt canadienne et de soixante-huitards confits dans la répétition – p.13 » ne saurait, certes, y faire face. Une volonté commune et partagée des enseignants- chercheurs, des personnels, des étudiants avec les collectivités territoriales le peut peut-être. A condition toutefois qu’une volonté politique en faveur d’une université démocratique s’exprime dans les semaines qui viennent, à l’opposé du rouleau compresseur de la marchandisation universitaire et du couperet de la réduction des dépenses publiques.

François Castaing (Enseignant économie-gestion à Paris VIII, membre du collectif enseignant Paris 8 autrement)


Date de création : 16/02/2007 @ 10:19
Dernière modification : 16/02/2007 @ 10:21
Catégorie : Textes individuels
Page lue 4720 fois

Réactions à cet article

Personne n'a encore laissé de commentaire.
Soyez donc le premier !

up Haut up


Site créé avec GuppY v4.5.8 - © 2004-2005 - Licence Libre CeCILL
Document généré en 0.05 seconde