Paris 8 autrement

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La loi sur l’égalité des chances (Textes individuels)

La loi sur l’égalité des chances : de la discrimination positive à la relégation
François Castaing



Si aujourd’hui le CPE est sur le devant de la scène, il convient de le resituer dans son contexte qu’est l’ensemble de la loi sur l’égalité des chances. Une lecture attentive de celle-ci révèle assez bien la perversion d’une discrimination positive qui cache son nom : la relégation.

La première mesure annoncée est l’apprentissage dès l’âge de 14 ans. Le public de cette loi est donc a priori les jeunes en situation d’échec scolaire, voire même les « décrocheurs ». D’emblée, le public est ciblé. Mais la figure du jeune en difficulté ne s’arrête pas là. Vient ensuite la deuxième mesure qu’est le CPE, un contrat qui non seulement déroge au droit du travail – au même titre que l’apprentissage à 14 ans déroge à l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans - mais signifie qu’ils ne sont pas, de fait, destinataires de toutes les « formes particulières d’emploi » devenues normales, soit qu’elles contiennent un temps de formation, soit qu’elles correspondent à des emplois temporaires. A ce titre, Villepin peut être de bonne foi en disant que le CPE ne concerne pas les jeunes étudiants à la recherche d’un emploi, si ce n’est que rien dans le texte n’interdit – dès lors que le CPE existera – qu’ils puissent en « bénéficier ». La troisième mesure est celle des zones franches urbaines, ultime avatar des politiques de zonage dérogatoire, notamment sur le plan fiscal, et qui n’ont guère donné de résultats à ce jour malgré près de 20 ans de mises en œuvre. Mais cela conduit à préciser le lieu de « domiciliation » de ces jeunes en difficulté : les quartiers comprenant les cités à fort taux de chômage et de difficultés sociales. A ce point de la loi, il se confirme bien qu’elle est conçue comme LA réponse à la dite « crise des banlieues ».
La loi ne s’arrête pas au titre I. Le deuxième titre de la loi concerne les « mesures relatives à l’égalité des chances et à la lutte contre les discriminations ». Ce titre comprend une série de mesures dessinant la figure du jeune en difficulté comme étant un jeune issu ( depuis combien de générations ? ) de l’immigration et surtout de l’immigration « visible » donc identifiable physiquement.
En effet les principales dispositions commencent par la création d’une agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances » prenant le relais du Fasild ( héritier lui-même du FAS) visant initialement l’immigration pour terminer par la lutte contre les discriminations dans l’audiovisuel où il est fait référence de façon systématique à la diversité de la société française. Comment ne pas penser au battage fait autour d’un « présentateur noir » au JT de TF1 ? La diversité doit se voir.

Enfin, « cerise sur le gâteau », le troisième et dernier titre de la loi concerne la mise en place d’un contrat de responsabilité parentale. Ces jeunes, en difficultés scolaires, vivant dans les cités, issues de l’immigration fussent-ils « bien » français, identifiables physiquement, sont « mal tenues » par leurs parents. Il faut donc contrôler socialement ces mêmes parents qui carents du point de vue de l’exercice de l’autorité parentale, se verront proposer un CRP. En cas de non respect de celui-ci, alors la suspension des aides sociales liées aux enfants pourront être suspendues.


Cette lecture de la loi nous conduit à trois conclusions provisoires.
La première est que le « portrait-robot » de l’instigateur de la crise des banlieues ainsi dessiné par la loi conduit logiquement à une forme de stigmatisation. L’existence même d’une telle figure à travers la construction d’un texte de loi est lourdement problématIque.

La deuxième est que toute politique qui se donne des objectifs spécifiques, bien souvent fondés sur le renoncement à se rapprocher du principe d’égalité sociale, retombe sur des logiques de discriminations qui n’ont plus de positives que le nom. Arrive inévitablement en ombre chinoise la relégation.

Enfin, en ce qui concerne plus précisément le CPE, ses promoteurs font totalement l’impasse sur le fait que la caractéristique des 30 dernières années de création de formes particulières d’emploi à destination des jeunes est qu’elles ont systématiquement produit un double effet de substitution. D’abord en conduisant à rallonger le parcours d’insertion des jeunes et non le raccourcir ( et donc retarder l’entrée dans l’emploi sous forme de CDI). Ensuite en évinçant de ces dispositifs de façon presque systématique les jeunes les moins qualifiés au « profit » des jeunes plus qualifiés ( la loi du marché est bien là). De ce fait, la jeunesse dans son ensemble se retrouve pénalisée. Les mieux lotis par l’entrée dans un « sas d’insertion » qui dure des années, et les moins bien lotis par une absence totale de réponse en terme d’emploi, tous par les effets redoutables d’une mise en concurrence généralisée. Que de ce fait une solidarité puisse à certains moments, comme celui que nous connaissons, exister à l’échelle de l’ensemble des jeunes ne devrait pas constituer une surprise.